Innovation et fashion : comment l'écologie peut être un relais de développement ?
- Gilles FUENTES

- 10 juin 2019
- 6 min de lecture

D’ici 2025 toutes les collections Zara seront fabriquées à partir de tissus 100% durables. C’est ce à quoi s’est engagé Pablo Isla, le PDG du groupe en juillet dernier.
Précédemment, en novembre 2012, la même firme s’était engagée à éliminer toutes les substances toxiques dans sa production. Sans doute peut-on remercier Greenpeace et ses opérations Detox [i] lancées la même année pour dénoncer l’incroyable pollution générée par l’industrie de la mode. Face à une large mobilisation, Zara se trouvait donc dans l’obligation de réagir. Et elle l'a fait.
La mode : le prix du plaisir
L’industrie de la mode est considérée comme la seconde industrie au monde la plus polluante. Quelques données, dans le désordre: en 2016, 100Md de vêtements ont été vendus dans le monde; 2 500 litres d’eau sont nécessaires pour fabriquer un t-shirt; 10 % de la consommation des pesticides est utilisée pour la production du coton; en 15 ans la production de vêtements a augmenté de 60 %.
Malgré cette hausse de la production, le marché de la mode est en régression ininterrompue depuis 2008. En France le marché a perdu 15 % de sa valeur depuis 10 ans (source : Institut Français de la Mode).
Nous assistons donc à la progression nette d’une forme de déconsommation et l’émergence du marché de la seconde main comme seul relais de développement.
Comment innover dans l’industrie de la mode ?
La sauvegarde de la planète comme relais de croissance
Le rapport 2019 de McKinsey consacré à l’industrie de la mode -The State of Fashion [ii]- a souligné l’importance grandissante que les consommateurs portent, et plus particulièrement les jeunes, aux problématiques environnementales. Face à celles-ci, et à la décroissance de leur modèle économique, de plus en plus d’acteurs de la mode prennent conscience de la nécessité d’agir.
Zara, donc, mais aussi H&M, Asos, Uniqlo, C&A … 80 entreprises à ce jour suivent le programme Detox créé par Greenpeace en 2011. Chacune de ces entreprises s’est engagée à améliorer son impact sur l’environnement. Certaines, comme Asos par exemple, ont décidé d’un programme ambitieux [iii] : suppression de certaines matières (mohair, cachemire, os, coquille…), réduction d’émission de carbone, développement d’une économie circulaire ... Des rapports disponibles en ligne sur Global Fashion Agenda [iv] retracent les engagements pris par ces entreprises et les progrès réalisés.
Huit ans plus tard, les progrès sont concrets même si les entreprises de ce programme ne représentent aujourd’hui que 13 % du marché du textile.
Des matières premières respectueuses de l’environnement
Cette prise de conscience amène des industriels de la mode à étudier de nouveaux approvisionnements en matières premières.
Ainsi les jeans de la marque 1083 (fabriqués à moins de 1 083 km de chez vous, contre les 65 000 km parcourus pour un jean traditionnel) sont fabriqués en coton bio français. Ajoutons que cette source d’approvisionnement a permis dans le même temps la sauvegarde d’une société de tissage.
Cette entreprise a aussi lancé un nouveau programme en 2018 pour fabriquer des jeans en coton recyclé. Mais pour compenser le surcoût de ces intrants, et pour demeurer compétitive face à une fabrication low-cost, l’entreprise a investi aussi dans des machines laser qui agissent à la place du délavage traditionnel, grand consommateur d’eau et de temps de traitement.
Dans le même esprit d’un bon sens environnemental qui consiste à rechercher des ressources proches du lieu de production, l’entreprise Atelier Tuffery, acteur historique français de la toile denim depuis le XIXème siècle, a relancé la fabrication de jeans en chanvre en s’appuyant sur Virgocoop qui accélère des projets écologiques et socialement responsables sur les territoires. Car avant l’utilisation de la toile « de Nîmes », c’est bien en chanvre qu’étaient fabriqués les vêtements des travailleurs manuels. D’autres matières premières disponibles dans un proche environnement comme la laine Mérinos sont utilisées pour le meilleur confort des vêtements réalisés. Aujourd’hui les vêtements fabriqués en chanvre par l’Atelier Tuffery représente 20 % de sa production.
Cette stratégie permet d’assurer une traçabilité parfaite des produits, ce qui est impossible à réaliser pour des jeans traditionnels. Elle permet enfin de maîtriser ses approvisionnements en créant un écosystème vertueux.
La fabrication de nouveaux textiles
D’autres alternatives aux textiles traditionnels existent encore. L’entreprise américaine Agraloop a pour ambition de transformer des millions de tonnes de déchets agricoles en fibres textiles : paille de riz, feuilles de bananier, déchet de coco…La start-up américaine MycoWorks a pour sa part créé un nouveau « cuir » à base de champignons. La société tchèque Singtex a mis au point une fibre à base de déchets de café que l’on retrouve dans des créations de Timberland, North Face ou Puma.
Le recyclage
Enfin, la revalorisation des fibres à partir de textiles usagés constitue le métier d’industriels et de start-up innovantes comme la société Evrnu qui extraie les molécules de tissus mélangés pour créer à nouveau les fibres originales réutilisables.
Innover, c’est aussi inciter le consommateur à revoir son mode de consommation
La voie de la qualité
Les températures se sont rafraîchies. Comme tous les ans, je ressors avec bonheur mon trenchcoat d’une fameuse marque anglaise spécialisée acheté il y a bientôt 20 ans. J’avais hésité à cette époque à l’acquérir au regard du prix qui n’est pas précisément de ceux pratiqués par Zara. Et 20 ans plus tard, je porte le même vêtement, quand mon fils de 20 ans ne me le chipe pas. Oh bien sûr, j’ai dû procéder au cours des années à quelques réparations : poches trouées, doublure déchirée, revers effilochés. Mais encore aujourd’hui, cette pièce recueille tous les suffrages. Le père d’un de mes amis -45 ans de métier dans la confection- avait coutume de dire, un peu par provocation, qu’il n’était pas assez riche pour se payer des habits de médiocre qualité.
Fabriquer des produits de qualité est une des voies à développer pour se différencier de la fast-fashion et répondre à de nouvelles aspirations des consommateurs. Le développement de la durabilité est un des trois axes (circularité, durabilité, transparence) promus par l’Eco TLC (Textile, Linge de maison et Chaussures), l’organisme pionnier dans la collecte de vêtements de seconde main. Pour ce faire, Eco TLC a mis en place depuis 2012 un barème éco-modulé sur les contributions : un bonus de 75 % encourage la conception de produits plus durables et résistants [v]
Le développement de la seconde main
L’achat de vêtements de seconde main existe depuis longtemps, mais il est devenu désormais un mode de consommation courant et valorisant. Il n’est que de parcourir les vide-greniers, les friperies, les charity shops londoniens pour le constater. Fouiller les étals des puces est une activité ludique, acheter d’occasion est devenu tendance.
La digitalisation a permis le développement de nouveaux circuits de vente. Les vêtements de luxe de seconde main ont ainsi leurs marketplaces: Vide Dressing, Vinted, Vestiaire Collective.
Cette industrie de la seconde main représente selon l’Institut Français de la Mode un marché de près de 1 milliard d’euros pour l’économie française. Sans doute que parmi les 51 % de femmes qui déclarent vouloir diminuer leur consommation de vêtements, nombreuses sont celles qui trouvent dans ce mode de consommation une réponse à leur volonté sans sacrifier leurs désirs.
L'engagement environnemental : un des éléments de la chaîne de valeur.
Pour conclure, la baisse du marché de la mode et la prise de conscience de l’impact écologique de notre consommation amènent les acteurs du secteur à faire évoluer leur business modèle.
Nous avons abordé dans ce premier article la problématique des intrants : comment rendre plus respectueux de l’environnement la fabrication des produits ? Culture bio, textiles alternatifs, textiles innovants, recyclage des fibres, montée en qualité, marché de seconde main, l’ensemble de ces solutions constituent une palette de solutions auxquelles les fabricants se doivent de réfléchir.
Mais le choix des matières premières est une des composantes de la chaîne de valeur. L’objectif qui demeure est comment mieux fabriquer et mieux vendre. Ainsi inviter les clients à ramener leurs vêtements usagés, comme le pratiquent H&M ou les Galeries Lafayette, constitue bien sûr un acte écologique mais aussi une action marketing d’incitation au retour sur le point de vente.
Pour répondre à la déconsommation et pérenniser leurs entreprises, les industriels de la mode (start-up ou experts) veilleront donc à mener une réflexion globale sur l’ensemble de la chaîne de valeur et effectueront leur choix en fonction de l’histoire qu’ils désirent raconter, de l’importance qu’il consacre à leur capital humain, d’un pilotage financier précis... bref, d'une capacité à faire converger stratégiquement l'ensemble de l'organisation de l'entreprise.
(à suivre)
Gilles Fuentes
Sincères remerciements à Julien Tuffery, PDG de Atelier Tuffery, et arrière-petit-fils de Célestin Tuffery, créateur du jean, et à Mathieu Ebbesen-Goudin, co-fondateur de VirgoCoop, qui ont partagé leur temps et leur expertise.
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Pour aller plus loin :




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